Alain SIMON, Dans le bleu détruit des fenêtres (Librairie-Galerie Racine, 2010, 15 €).

Lire Alain Simon est un régal, tant il raffole de choses fines, tant il exprime de sentiments rares en bateleur d’un cœur énorme et marmiton de nos magies, en faisant fusionner, grosso modo, les sortilèges du surréalisme et l’écriture du quotidien. Son prétendu dandysme était une pudeur, dont il s’est pour partie défroqué avec le temps ; sa préciosité une recherche esthétique, une quête du Graal, dont il s’est grandement rapproché depuis quelques livres. Son sens du pittoresque, du nanan enrobé de feinte désinvolture. Mais quelle puissance lyrique chez cet ermite ambivalent ! Et quel sens de l’image ! Qu’il fasse saillie sur la musique : Il s’agirait peut-être d’un domaine d’épouvante avec des basses, des contrebasses en rêve de cordée ; qu’il évoque, grande affaire !, les femmes : En avril dès qu’on lève la tête une fille affirme : je n’ai pas de temps à perdre/ Viens m’explorer ainsi dans le trèfle à quatre feuilles/ De Chulyma et près de Minoussinsk/ Viens et tais-toi je ne veux pas de la cruauté des mots/ Viens dans mes huit mètres de profondeur dans mon métier d’épouse poignardée dans mes viscères il fait chaud au fond ; ou : Tu seras toujours présente toi ma gouge/ Ma goule devrais-je dire toi ma folle/ Mon exquise débraillée avec du poil aux fesses/ Mais infidèle car pour aimer il faut trahir des dieux/ Et ça tourne mal ; ou encore : Je reconnais la supériorité des femmes face aux éléments fondamentaux/ Si elles chantent sinon adieu. Qu’il évoque la condition humaine : Y a-t-il suffisamment ici de passion pour la vie/ De lièvres apeurés pour fusionner et faire tourbillon / Faire syndicat comme les oies ? Qu’il peigne la Nature, moelle de son inspiration : Toutes les ruses du passeur de ravines ; ou : Genoux de langueur boisée/ Des pentes de Tannu-Ola ; puis : À cause des bergers qui ont tout appris des sources ; ou bien : Castagne à l’aube avec des savoureux/ De roseaux d’argent des cartouchiers/ Je leur ai confié quelques cuillères en argent / Ils m’ont remercié avec un trémolo dans la voix/ Les deltas j’en ai toujours fait mes sorcelleries certains remèdes/ Je n’ai jamais su que parler du Vieux Lac. Qu’il s’en prenne au destin et au progrès : Je n’irai pas jusqu’à la rendre à sa locomotive/ Les mille chevaux des dieux grondeurs, il fait souvent sauter la banque. Grand lunatique, ô combien attachant, anticonformiste enraciné dans l’aventure sur les mers lointaines et les sentiers familiers, Alain Simon marque, tel le fantôme du Bengale de notre enfance, la poésie de ses coups de bague. Même ses bavures restent des performances (C’était trop savant j’aime la maladresse). Un homme ordinaire, certes, dans l’inouï :

Vous réciterez comme moi toutes sortes de cris mâles
Et la violence étrange avec des rires fous
Et la capitale misère : muse muselée dans l’obscur utile
Vous me direz je vous hais comme c’est bon sans doute.

©Alain Breton

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 31, premier semestre 2011)

Yann SÉNÉCAL : Je ne m’adresse plus la parole (éditions Clarisse, 2010).

Le K.O. qui figure en photographie sur la page de couverture, augure bien du combat que l’auteur noue dans cet ouvrage. Comme l’expression d’un sentiment de stupeur, une défaite génésiaque dont il faut se relever sans savoir vraiment pourquoi, une lutte éperdue qui bégaie mais qui, par la mobilisation de toutes les forces vitales, permet toutefois des trouées dans le vertige permanent. Yann Sénécal se livre ici à un travail émouvant sur le manque à être, la dépossession, et la résistance face aux regards de l’autre, sans trouver de double fond à la vérité ni au mensonge. Cet état d’urgence offre au lecteur un véritable catalogue des mesures à prendre lorsque le sens se dérobe, lorsque les conventions font glu, que l’utilité du moindre geste devient suspecte. Mais il s’agit aussi d’un miroir qui nous aspire, une remise en cause de toutes nos certitudes, de nos faux-semblants, de nos lâchetés : « Qui sommes-nous / Pour convaincre / Pour humilier » ? Parfois, c’est la fragilité qui fait la force. « Se sentir utile », face à une mascarade ressentie comme générale, est la modestie assumée avec talent par ce nouveau poète.

©Alain Breton

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 31, premier semestre 2011)

Éric SÉNÉCAL : Chant de la pierre tombale (Les éditions d’Aldébaran, 2010).

Rapprochements saugrenus, éléments de thriller pour instiller le doute, questionnement sur la cohérence des choix qui s’émiettent, contradictions qui s’entrechoquent, pures provoca-tions dans l’intensité d’être… voilà un mort qui se porte bien ! Ce Chant de la pierre tombale, à travers une dérobade feinte, a permis au poète de se situer à la fois dehors et dedans et de manier une écriture chargée d’humeurs et d’humour, de va-et-vient cognés ou moqués entre le monde et soi, de vanités fabuleuses et de constats burlesques (« Une ampoule a grillé/ ta fille est réglée). Entre vrais et faux souvenirs, commentaires sur la difficulté de se comporter en adulte et rejet des parents « suceurs de télé » l’anticonformisme, par chirurgie du soleil, incite à « accélérer quand tout ralentit ». Les textes sont repris en rafales de runes, psaumes haletants. La lune est en slip et chaque vivant devient immortel. On peut croiser des promeneurs maladroits dans le gazouillis des guerres, des stupeurs pour déchirer des siècles de soie, des fraîcheurs comme autant de déflagrations, des volontés gravées dans le… marbre (« Espérer revoir son chat »). Et si la mort, après tout, n’était qu’un gag ? Ici, on ratatine le temps sans saveur. En vente dans tous les bons cimetières.

©Alain Breton

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 31, premier semestre 2011)

Claude SERREAU : Raisons élémentaires (anthologie). Préface de Martine Morillon-Carreau (Sac à Mots, éd. La Sauvagerais — La Rotte des Bois — 44810 La Chevallerais)

Valeur sûre des éditions « Traces » que dirige Michel-François Lavaur, Claude Serreau publie chez « Sac à Mots», que dirige le dynamique Jean-Marie Gilory, une anthologie de 120 pages, « Raisons élémentaires » qui reprend le titre de la plaquette sortie chez le même Lavaur il y a plus de 40 ans.

Fidèle parmi les fidèles, Claude Serreau publia presque exclusivement sous l’aile de «Traces », une dizaine d’ouvrages, tous voués à la lettre «R» en hommage à Cadou dans la filiation de l’École de Rochefort dont l’ambition était de servir l’homme dans ce qu’il a de plus subtil. Claude Serreau, habitué des rivages atlantiques qu’il n’a cessé d’arpenter, établit avec la mer une relation privilégiée :

« Quand bien même la mer aux hommes satisfaits
apporterait la fraîcheur d’un rivage »

Claude Serreau est, me semble-t-il, un romantique qui s’ignore. Ou feint de s’ignorer. Il est de cette époque – pas si lointaine pour beaucoup d’entre nous – où le…

« vieil autocar bleu
dépoussière le temps »

Les images se succèdent dans ce livre puissant, la poésie s’enrichit de neuves semailles, de couleurs sollicitées, de mots utilisés pour leur parfum ou leur saveur, pour leur clarté dans la page, leur luminosité, leur souplesse.

« Et si tous les oiseaux mouraient
comme des mots sans fin ployés »?

La modestie du poète ne doit en aucune façon nous conduire à occulter ou simplement ignorer ces pages, souvent admirables, qui donnent à la poésie du quotidien, un profil d’une singulière originalité.

« N’ayant d’autres secrets
que ces pans de mémoire
où les arbres ont pris
la place des vivants »

Il convient de saluer la sortie de cet ouvrages en tous points passionnant, le 40ème livre de poésie paru dans cette collection, préfacé avec talent par Martine Morillon-Carreau et édité avec goût par Jean-Marie Gilory et ses éditions « Sac à mots ».

©Jean Chatard

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 31, premier semestre 2011)

JOSETTE SÉGURA : AU BORD DU VISAGE, suivi de L’ENCLOS (N et B /Pleine page éditions), 12 €.

Dans cet ouvrage, qui a reçu le Prix Olympique 2007 (prix annuel de poésie en Aquitaine), Josette Ségura se fraie un chemin de calme certitude vers une spiritualité de plus en plus concrètement appréhendée:

« Je voudrais être dans une parole qui s’appuie sur l’air ».

Elle accueille cette douceur que recèle l’invisible et qui veut nous guérir de « tant de haine », haine elliptiquement et pudiquement tue.

Une telle poésie aspire à un déchiffrement de l’âme à l’âme, à la découverte de ce qui résiste à toute perte:

« Nous écoutons ce qui se voit presque ».

Josette Ségura désigne ce qui est la négation de la poésie: la violence du refus d’aimer, le mutisme comme anti-silence. Elle cherche « la langue dans la langue », mélodie sans mots. Car, dans un autre canton de l’âme, peut se rencontrer « notre être inhabité »:

« Laissez-moi au creux de la pierre
avec mes peupliers sans feuilles
………………………………….
suivre ce fil de paroles tues. »

Après tant de désert, l’être accède à un propos partageable « comme un bouquet de fleurs blanches ».

Dans la deuxième partie : « L’enclos », l’ouvrage de Josette Ségura s’édifie sur un espace épuré: un pays du Sud (« C’est toujours l’été »), le ciel, la montagne, une tombe.

Cette part du monde s’exhausse à l’éternité, efface les barrières de l’esprit et du temps, s’intériorise au point d’être une médiatrice de l’infini:

«Tout fait signe sur le parvis de notre âme, loin de ces jours opaques où nous replongeons dans l’absence. »

©Gilles Lades

JACQUELINE SAINT-JEAN : LUMIÈRE DE NEIGE, Sac à mots éditeur, 12 €.

En trois sections (Soleil blanc, Chronique des pierres, Lumière de neige), Jacqueline Saint-Jean suscite, accompagne, redouble l’instinct découvreur de l’imaginaire qui opère à la façon des vagues de la mer, exhumant chaque fois un fruit nouveau.

Cette traque de poésie s’effectue dans un état d’hypnose et de lucidité, équilibre où la lumière, la marche, la distance scrutent « la trame habitable ».

L’écriture, qui joue du blanc et du décalage des vers, figure concrètement l’ajustement à la voix.

Le « songe », prégnant, est cette brusque mutation du regard qui convertit la perception pour ouvrir l’être à l’expérience poétique:

«Corps séparé cassures
Brèches brèches sans fin »,

et permet de fixer l’insaisissable:

« Coup de vent la vie
Cette fuite d’ombres
Au long glacier bleu
Balayé par le temps ».

Ces poèmes peuvent être mis en perspective selon une triple modalité: l’ascèse du souffle, un imaginaire ajouré, une mise en résonance.

D’autre part, si, tout au long de ces textes, la « lumière » de la vie intérieure apprivoise la minéralité, l’écriture la plus consciente cerne de ses traits les ardentes intuitions de Jacqueline Saint-Jean:

« Feu de neige éclair
Où les mots s’effacent ».

©Gilles Lades

CHRISTIAN SAINT-PAUL: LES PLUS HEUREUSES DES PIERRES, Encres Vives n° 361.

Ce recueil procède d’une voix grave et confidente. Un homme émerge de son passé et s’interpelle avec une lucidité sans amertume. Et sa compagne, compagne de vie, compagne de mémoire, compagne d’attente et de désir, laisse deviner sa présence intime et décisive:

« c’est l’heure où ta main fidèle
apaise l’impérissable peur ».

Le ressaisissement de la vie à la lumière de l’amour célèbre la quintessence des instants heureux sans dissiper les images de notre destinée. « L’arbre tutélaire » du jardin, choyé d’inquiétude, « l’esprit fantasque d’un air populaire » gardé dans un coin de l’attention, ne font pas oublier que

« la nuit douloureuse chuchote
dans la solitude des tombes ».

Ce recueil/poème dédié au couple, hymne et élégie, est traversé par la métaphore passionnelle. Occurrences du feu pour « nos joutes affamées ». Et la certitude gagnée:

« jamais plus notre amour ne sera malhabile ».

La femme, forte de son « estivale présence », sauve le poète de l’aridité rencontrée dans l’écriture:

« ces paroles qui m’attendent
abasourdi de leur tête-à-tête
qui languit quelque temps
dans un ténébreux hiver de la poésie ».

Cette œuvre commune de l’homme et de la femme, Christian Saint-Paul nous la dévoile à travers sa parole rythmée par la ciselure et le profil toujours renouvelés des strophes. Les images sont fortes et franches (« le règne noir/de la blatte », « les ruelles en pente/ du plaisir », « le roc du jour à venir »), et chaque poème campe une nouvelle perspective: « Du chemin nous sommes/ les plus heureuses des pierres », ce chemin qui se redresse avec le pathétique des espérances hasardées.

©Gilles Lades

CHRISTIAN SAINT PAUL : L’ENRÔLEUSE (335ème Encres Vives).

L’image de la femme, poursuivie sur ses pistes fascinantes, saisie en ses parades pathétiques, continue de hanter le parcours poétique de Christian Saint-Paul. « L’Essaimeuse » la présentait naguère, « pétrie de volupté », mais aussi hasardée, téméraire, victime, au terme de l’épreuve sans fin qu’elle y faisait de son désir.

Aujourd’hui, avec « L’Enrôleuse » (Encres Vives n° 335), Christian Saint-Paul accentue l’âpreté de la quête érotique. Si la femme guette

« la promesse d’une flamme plus haute
Qui pourrait monter le long de son échine »,

l’homme rallume sans fin

« la torche incendiaire/ d’une simple caresse ».

Car il s’agit de se vouer à la femme, corps et âme, de la connaître par la « texture langoureuse » de sa chair, pour, désarmé par sa grâce, se laisser terrasser par ses fatalités.

Ce pacte sensuel, dévorant, de l’homme et de la femme, ou plutôt de la Femme et des hommes, conduit à une amertume telle que la quintessence de la félicité se trouve menacée de toutes parts.

Comment les hommes en détresse, « martelés de mythes » par la Femme et déterminés à « tuer le futur », sauveraient-ils du dérisoire la conquête inépuisable de la beauté ?

Comment éviteraient-ils le vertige d’une autodestruction qui va jusqu’à l’âme en faisant jaillir « les escarbilles de leur conscience » ?

Tout est-il faux dans cette « allégresse mouvante et chaude » ? Qui, de l’homme ou de la femme, se trouve finalement vaincu par la lassitude de la beauté ? Et qui possède, encore ici, la clé de cette « parade sauvage » ? (Arthur Rimbaud).

©Gilles Lades

(Note de lecture in revue Friches, n° 95)

Paul SANDA : Pour la chair de l’île, Gravures et encres de J.G. Gwezenneg (Océanes) 50 pages – 10 €

La préface de Jacques Abeille ne laisse aucun doute sur la nature de ce récent ouvrage de Paul Sanda dont le Surréalisme est la porte de sortie en même temps que l’outil créateur qui sape la candeur afin de révéler l’espace. Si, pour lui, « la nuit / est à table », c’est pour mieux gérer les continents de la mémoire où courent les lèvres les plus riches en salive ouatée.

Surréalisme pas mort à bord de ce vaisseau coulissant entre arpège et midi, concassé par les plages d’une nativité précoce où l’île d’Oléron recompte ses étés, où la poésie déroute ses voiliers et taxe la syntaxe d’un peu de courbe et de parfum.

Le rêve est citoyen et cousin germain de Jacques Kober ou de Guy Ducornet qui œuvrent quelque part entre escale et grand vent.
On se risque à fêter quelque orgueilleux présage, on oublie de changer la couleur des étés. Et si Paul Sanda dérive jusqu’à la chair de l’île, c’est pour mieux gambader au solstice venu.

Le jeu subtil du poète s’articule au plus urgent des comparaisons qu’il secoue d’un geste large et qu’il détaille avec lenteur afin de sublimer les ondes du plaisir.

« c’est la fin du voyage l’accordéon frôle le signe lumineux des grimoires de ma peau si rugueuse si flasque des varechs »

On ne doutera pas que j’ai aimé ces pages sauvages, rebelles, où l’imaginaire fait un pied de nez aux oiseaux de passage.

©Jean Chatard

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Josette SÉGURA : LE PAS DE L’ANGE. Voix d’encre éd.

Cet ouvrage se déroule, se déploie, comme une saison de l’âme, avec peu d’objets, mais au loin la montagne, l’argile, l’acacia, le ruisseau ; suffisamment de poids pour se savoir être, et de formes pleines pour mesurer son vide.

L’épreuve, qui inflige un tourment insaisissable, oscille de l’absence (« le désert sans ses pas », « être de terre sans ciel ») à l’opacité (« la saison nous roulait dans ses jours pleins de nuit »).

Et l’on s’habitue à la déception, aux minces lumières qui nous sont retirées.

Mais, au hasard de la neige, « le pas de l’ange » est le premier indice. Puis « quelques mots dans le silence des jours » suivis de « la terre rouge », des « chênes verts », cette fois réellement vus, substantiellement traversés par le regard, inaugurent une purification qui est aussi un allègement.

Et l’on franchit « ce silence singulier qui est un seuil », cette interface entre ombre et lumière, silence et parole.

Jusqu’au moment où la contemplation paraît presque plus désirable que les mots, où l’émotion est si ténue, si verticale, que la vie s’éternise, à la manière de

« ce dimanche impérissable »,

ou de « quelques nuages légers comme des pensées ».

©Gilles Lades

in revue Friches, n° 83, été 2003.