Nos lecteurs connaissent Janine Modlinger, à qui des pages des HSE ont déjà été consacrées (dans les numéros 2, 19 et 28 de l’actuelle série). Nous avions souligné la haute qualité de ses écrits (ceux, notamment, publiés dans deux livres de poésie : Veille, paru à L’Harmattan en 1998, puis De feu vivant, chez Éclats d’encre, en 2008). Nous avions aussi appelé l’attention sur les proses extraites de « Carnets » rédigés au long des années, textes qui nous frappaient par leur solidité d’émotion et de pensée et, le plus souvent, par leur singulière beauté. Aujourd’hui, les Éditions de l’Atlantique, dirigées par Silvaine Arabo, publient l’intégralité de ces Carnets sous le beau titre Une lumière à peine, avec une remarquable préface de Gérard Bocholier.
Avec ce livre, et comme toujours à l’écoute d’une sensibilité juste et généreuse, on renaît à soi-même dans la parole d’autrui, et tout étonné de la retrouvaille. Le « Je », à tout moment exposé par l’auteur, ne nous exclut nullement : il reste partout en fusion totale avec la lumière du monde, si bien que l’aventure de ce « Je » devient aussitôt la nôtre. Aucun mot n’est d’ailleurs vainement sollicité : dans les mots, Janine Modlinger, à travers un très petit nombre de thèmes essentiels, trouve la grâce d’une présence au monde.
Et peut-être est-ce là un point central : au monde est offert un assentiment total, un consentement confiant à la terre humaine, par quoi seront surmontés le deuil et la douleur. L’acte d’écrire se fait adoration, accueil du monde, passion de vivre. À chaque instant, étonnement et célébration devant la merveille, le miracle d’exister. Être là : ces deux mots reviennent avec fidélité :
Être là, veiller : simplement. Haute tâche. Faire recueil à la beauté, sous tous ces visages, y compris ceux de la plainte ou de la douleur.
Chez notre poète, c’est à la lumière que revient le pouvoir d’opérer cette sorte d’assomption de la douleur dans la beauté :
Il y a une bonté de la lumière au moment où elle consent, vers la fin du jour, à ne plus donner le plein feu de son éclat. Elle se retire alors, elle se défait de sa puissance. Ce qui s’élève maintenant, de la vallée jusqu’aux sommets, c’est la douceur elle-même, celle que les humains appellent. Car la lumière se met à genoux. Un voile de mansuétude et de tendresse recouvre le monde, atténue ses rugosités, dans la douceur de ces roses, de ces pastels, de ces jaunes d’or bientôt.
Cette lumière est immédiatement ressentie comme créatrice d’un lien au monde, lien par lequel le poète à la fois reçoit le don et est offert lui-même au monde. Le poète sait alors « recevoir le monde », se faire joie du simple « exister », du quotidien :
Ces jours où notre sensibilité est si aiguë que la moindre chose du visible lui fait signe, signe de la présence, signe du miracle du vivant à l’abrupt de la mort, signe de la beauté d’être là. Le regard se pose […] voici que tout nous alerte : petits bouts de fils, vieux crayons, bouteille d’encre, et tant d’autres choses anodines mais toutes imprégnées du tremblement de l’être.
Janine Modlinger, on le voit, chérit particulièrement les plus humbles présences : le « très peu », le « presque rien », d’humbles traces logeant le monde au cœur de ce qu’elle appelle « l’Intime ». Lieu, élu entre tous, de la veille permanente, de la présence au monde et à l’autre, d’une expérience immédiate de l’être, « l’Intime » est un pôle qui relie poétiquement à cet autre pôle qu’est, pour l’auteur, « l’Immense » :
Promenade dans la montagne vers ce lieu aimé où les torrents ruissellent dans le paysage en abondance, en éclats d’eau de toutes parts sur la roche. Progressivement, le moi devient parcelle de l’Immense.
Quitter ses rigidités, ses petitesses. Devenir matière souple, poreuse, matière en fusion jusqu’à entrer en union vive avec le monde et les autres. Ce serait chemin de vie.
©Paul Farellier
Note de lecture in revue Les Hommes sans Épaules, n° 34, 2nd semestre 2012.