Auteur d’une cinquantaine de recueils et plaquettes de poèmes, depuis Caerulea (1967), Werner Lambersy (né en 1941 à Anvers) est l’un des poètes les plus prolifiques de toute la francophonie. Nous lui devons une récente et succincte, mais assez bonne anthologie sur la Poésie francophone de Belgique (Le Cherche Midi éditeur, 2002), qui possède le mérite de combler un vide en la matière.
Avec L’éternité est un battement de cils, Werner Lambersy signe son œuvre majeure. Il s’agit d’une anthologie (personnelle) qui balise son parcours sur près de quarante années de création poétique. C’est l’occasion de parfaire notre connaissance de cette œuvre singulière, comme du personnage. La notice biographique nous apprend que Werner est le fils d’Adolf Lambersy (1913-2002), engagé volontaire dans la Waffen SS durant la Seconde Guerre mondiale (ce qui lui vaudra une condamnation de vingt ans de réclusion), et de Juliette Rosillon (1916-1983), franc-maçonne de tradition juive. Un couple détonant. Tôt, la poésie accompagne la vie de Lambersy, au même titre que la maladie (pneumonie, méningite cérébrale, dépression nerveuse…) De 1960 à 2002, le poète exerce de nombreux et divers emplois, dont le plus marquant est certainement son travail au sein du centre Wallonie-Bruxelles de Paris (ville où il s’installe en 1982). Durant cette période, Lambersy voyage sur quatre continents et noue de nombreuses amitiés. Sa rencontre et son mariage avec le (très bon) poète Patricia Castex-Menier (elle-même employée au centre Wallonie-Bruxelles) en 1983, lui apporte la stabilité recherchée, et deux enfants. Quarante années de création, ce n’est pas rien, c’est une vie. Établir le choix des poèmes n’a pas dû être simple. On se laisse porter par les mots comme on le ferait par des vagues, parfois douces, parfois coupantes comme le silex. Vivant, attentif et toujours aux aguets, Lambersy explore ses abîmes et ceux du monde qui l’entoure, à l’aide des matériaux dont il dispose : ses émotions, son regard et le langage. Lire ou écrire un poème, c’est s’absenter des masques de soi, retourner au premier cri du premier souffle qui nous jeta, déchirés, des forges de la galaxie ici sur cette terre et retrouver l’éternel instant de l’éternel début ; c’est encore l’autre, l’autrement, l’inentendu des mots, écrit le poète ; car il y a ceux qui parle d’âme et ceux qui rendent grâce à la voix pour ce qu’elle sait. Le poème suinte ou jaillit page après page, comme une eau jetée sur des pierres chauffées à blanc. Selon Lambersy, le poème n’explique pas mais constate. Il est la vie débarrassée des toxines du discours, du dogme et de l’illusion. Le poème n’a qu’une qualité : c’est d’être un miroir impitoyable, qui ne nous permet plus de nous voiler les yeux, ni de nous boucher les oreilles devant le chant de l’être et les danses du rythme, précise le poète. C’est sans doute pour cela que tant d’entre nous s’y refusent et en font l’impasse, car une part de vérité sur nous-mêmes est plus redoutable à supporter que la certitude de notre mort. Le poème de Lambersy prend souvent la forme d’un monologue intimiste, concis et ciselé : Le feu y a bu – comme au bord du chaos – buvait la création – Le vide y a puisé – pour que l’espace sache – où poser les lèvres – La forme – en épousait les bords – pour connaître l’abîme. C’est encore le chant amoureux qui prédomine : Je t’ai fait les yeux – comme on fait les poches d’un inconnu ; la quête de la vie : Lâcher ce qui est fait – pour essayer – de toucher ce qui manque , le dialogue avec l’univers extérieur tout autant qu’avec l’univers intérieur : Nous marchons – contre l’immense mort – et pour marcher – nous n’avons que ce chant ; mais jamais, chez Werner Lambersy, le poème ne perd de vue le réel.
©Karel Hadek
(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 19, premier semestre 2005)