Les poèmes de Chantal Lainé sont des « paquets lourds de choses légères », pour reprendre l’heureuse expression de Cocteau, qualifiant ainsi la neige, dans Les Enfants terribles.
La palette de l’auteur se compose des vocables : cendre, brume, brouillard, ombre, écume, océan, nuages, vent, vagues, fumée, rivage, miroirs, sable… et ces mots reviennent inlassablement, tissant un décor flou, entre rêve et réalité, où, dans une sorte de sfumato à la Turner, le poète déroule sa pensée et nous révèle ses sensations et sentiments. Au centre, vraisemblablement la perte d’un être cher dont le souvenir, par bribes, est évoqué et se confond avec le surgissement et l’évanouissement du poème sur la page : « C’est un vaste reflet / Blanc de toute inscription / Le tombeau d’une image sur l’eau bleue / Un regard s’élève vers lui / Le suit et l’abandonne / D’autres morts apparaissent / Bientôt le courant / Emporte les écumes / Échappées des fonds marins / Un reste de fumée / À la surface de l’océan / Tout s’envole avec le vent ». Certes, la douleur de cette disparition, dont il est fait état en maints poèmes plaque ses accords dans les graves : « Le monde est noir / Sous un soleil blanc / Et dans la brûlure pâle des couleurs / Le soir prolonge son ombre / Il s’achève et sombre / À la surface de ton regard / sans avoir révélé / Un seul souffle de douleur », mais cette douleur, pour présente qu’elle soit, se veut aussi dépassement par le verbe, ce qu’annonce le premier texte : « La feuille est blanche je la vois / Remplie de mots évanescents / Dont je suis la cendre éparse / Les points sont des pas que je dépasse / Chaque lettre est un monde / Qui n’existe pas ». Le concret et l’abstrait, la matière et l’esprit, le réel et l’imaginaire s’entrecroisent, flottent un instant à fleur de page et s’évanouissent, ne nous laissant que ce goût de l’éphémère, celui-là même de notre existence.
Si ce premier recueil de Chantal Lainé contient quelques faiblesses, dont le recours, un peu trop fréquent par exemple, au mot « étoile », cela est véniel en regard de belles réussites comme : « Le visage des astres lointains / Porte la blessure des glaces / La lumière des idées / Et les parfums inconnus de la mort » ou : « Tes yeux se ferment / devant le monde qui scintille / Et l’oubli / Où tu t’endors / Traverse ton dernier regard ». Cette contraction dans le dire, proche du haïku, atteste d’une maîtrise prometteuse.
©Jacques Taurand
(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)