Les éditions de La Différence donnent décidément dans le gigantesque. Après la parution du premier volume de l’œuvre poétique d’Abdellatif Laâbi, puis des poèmes de Philippe Jones, voici à présent, l’œuvre en deux volumes du poète belge Jacques Izoard, soit 1688 pages, avec de très riches annexes, soit 45 recueils publiés, auxquels s’ajoutent les poèmes publiés en revues et de nombreux inédits. Cette édition collective, Jacques Izoard (né en 1936), le poète qui n’écrit pas « pour se plaindre, mais pour exercer un droit légitime », la mérite. Guy Chambelland (qui publia le recueil Un chemin de sel pur, en 1969, puis Des laitiers, des scélérats, en co-édition avec Jean Breton, en 1971) ne s’est pas trompé lorsqu’il a écrit en 1968 : « Le plus beau poète de ceux que j’ai découverts récemment… On ne saurait parler de poésie actuelle valablement sans connaître Jacques Izoard ». On l’a dit maintes fois, rappelle Gérard Prunelle, responsable de cette édition, la poésie d’Izoard a toujours affaire au langage et au corps. Le poème et le corps sont point de rencontre, de fusion et de confusion des mots et des objets : « Mot lourd de sens : le corps lui-même. » A l’intersection permanente des mots et des corps se trouve le poème, cette coquille où « je dors, sourd et aveugle, où je ne crois pourtant que ce que je vois, que ce que j’entends. » Deux types de poèmes traversent cette œuvre singulière : « ceux qui refusent toute lecture ; le sens importe peu », et ceux qui au contraire « à dessein, avec obsession, à travers chatoiement et voyelles, visitent les lieux les plus communs. » Christian Hubin l’a noté : « Izoard n’est pas un penseur, c’est un sourcier ». Il est vrai que pour ce poète, l’écriture est liée à ce qui nomme, à celui qui nomme, à ce qui est nommé. C’est une recherche de sa propre identité à travers les autres : briser ainsi le halo de vide autour des êtres, les aimer. Cette poésie est ouverte à tous les registres de la vie ; elle fait ce qu’elle dit et dit ce qu’elle fait, et se vit au moment même de l’écriture : « J’invente un poème et le poème m’invente. Il m’apprend de nouveaux gestes. Il me dit que j’existe en chacun de mes mots. »
©Karel Hadek
Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.