Il n’aurait pas misé sur son immortalité littéraire (« N’espère pas mourir / Et que vivent ces vers / Le naufrage sans eux / Ne serait pas complet »). Claude Elisar, alias Claude Israël, né le 21 avril 1923 à Alexandrie, nous a quittés dans son Paris, en 2010, en laissant ce Recueil inachevé à plus d’un titre. Hanté par l’imperfection, modeste, secret, tolérant, généreux, il est l’auteur de dix-sept ouvrages qui témoignent de son refus des illusions et de l’obscur, mais aussi de son attachement pour tout ce qui exalte l’émotion esthétique et le sentiment fraternel. Il était bienveillant mais ferme, décidé à combattre avec sa poésie le racisme et les injustices, à se lever contre tous les scandales de ce qu’il appelait « l’inhumain ». Pour l’écrivain qu’il était, c’est-à-dire aussi un accordeur de rythmes, la poésie ne devait pas mourir à l’idée. Il ne tirait pas ses mots de quelque eau lustrale, et les considérait comme des servants, non des seigneurs, au projet de témoigner encore et toujours, jusqu’à son dernier souffle.
Agnostique, pris de vertige devant cette vie « hors de notre entente », marqué du signe de la nuit, mais aussi porté par la musique des lointains, le poète a toujours déploré « la désolation de l’homme nu ». Mais il a su trouver dans l’amitié, l’amour (« Nos bras sont des rayons / Qui éclairent l’aimée ») et l’attention portée à la nature (ne se présentait-il pas lui-même comme ayant la « main verte » ?) de quoi donner un sens à l’aventure d’être, de quoi nuancer les ténèbres.
Cultivant la recherche de l’harmonie et ses sortilèges, tout en étant obsédé par la mémoire des morts (« Ces bribes du passé / Cherchant leur unité »), la Shoah et la lutte avec l’âge, Claude Elisar a écrit des pages ardentes et singulières. Chantre de la liberté (« Lève ce qui t’importe / À hauteur des étoiles »), attiré par l’imaginaire (« Nos rêves sont le lieu »), s’il n’espérait pas en un « au-delà crédible / De lumière et d’amour », s’il était toujours insatisfait – de lui, bien sûr, en premier lieu –, comme par vocation pourrait-on dire (« aurons-nous jamais fait / Le tour de toutes nos extases ? »), s’il définissait le bonheur comme « n’étant rien de plus que notre attente », s’il dépeignait les hommes comme éperdus, « éclats tardifs d’une telle débauche de matière » et chuchotis du suspens, « criblés de remords et de fautes », il portait aussi sa jeunesse en bandoulière, une enfance égyptienne et cette immensité qu’était la mer pour lui, dans une nostalgie qui rejoignait une sorte d’ivresse.
Ce livre, à l’écriture inachevée, est son dernier témoignage.
©Alain Breton
(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 31, premier semestre 2011)