L’année même où elles publient, en un fort volume de 540 pages, le premier des trois tomes annoncés des Œuvres poétiques de Sylvestre Clancier, les éditions de la rumeur libre font paraître un nouvel ouvrage du poète, La Source et le Royaume.
Ce titre rayonnant dérive d’un poème de la deuxième partie du livre auquel le visage aimé confère son « absolue présence », où « le miroir des yeux » irradie « la vraie lumière, la source et le royaume ». Mais, tout autant qu’à ce visage et à son regard, le poète ne cesse d’appartenir à sa propre origine – une enfance heureuse, « source » d’une évidence poétique lustrale pour toute la vie – et d’habiter la demeure familiale, le « royaume » édifié sur « la promesse des morts ».
Car c’est bien là le mystère de ces morts familiers : ils créent la sorte de présence protectrice dont nous avons tant besoin quand « la vie » nous absente à nous-mêmes :
tu as ce goût d’enfance, tu te sens protégé
par leurs regards, leurs rires et leur silence.
Et cette présence opère si fortement en nous qu’elle efface les frontières vie/mort, allant au point d’une adhésion fusionnelle :
Ton sang est ce passage ombreux
plein du mystère de ta naissance
il te change en tes aïeux
plus tu regardes par leurs yeux.
De telle sorte que le poème, comme le quotidien même du poète – qu’on aurait tort ici de croire surinterprété – redonne à ses morts forme de vie sensible :
[…] la grammaire de leurs visages
la ponctuation de leur langage […]
la voix
et le goût de la langue.
Le médium qui détermine et permet cette réalité prorogée, c’est naturellement l’enfance : elle n’a su que feindre de s’être enfuie ; elle est restée ce trésor au cœur de l’homme jusqu’à l’heure où celui-ci croit entendre « le cri strident » de « l’oiseau de mort » ; et n’est-ce pas elle enfin qui pourrait rejoindre « la vie antérieure », « vie/ d’avant la vie », « arrière-monde » et « harmonie première » ?
Comme toujours, l’auteur, même dans son lyrisme, s’est tenu à distance de tout « poétisme » affecté. Il parle un langage d’étroite proximité de l’humain, et c’est sans aucun détour qu’on accède à sa parole ; elle reste émouvante dans sa simplicité de vocabulaire et d’expression, avec ce talent de rendre à tous partageable ce que révèle le plus personnel secret.
©Paul Farellier
Note de lecture in revue Les Hommes sans Épaules, n° 42, 2nd semestre 2016.