Si nous allions vers les plages… Qui n’a pas été tenté de se retrouver, à de certains moments de son existence, sur cette avant-scène où le spectacle se joue à perte de vue sur l’immense foule des vagues ?… Hélène Cadou, d’une écriture volatile, à peine posée sur le sable de la page, moins que les pattes d’une mouette échappant à notre approche et ouvrant ses ailes vers un autre horizon, nous entraîne à sa suite, là où tous les souvenirs se nouent avec le vent dans la rumeur du grand large de notre destin.
Les paysages évoqués semblent sortir d’un keepsake des années Vingt, comme ces pâles photos parsemées de taches brunes : «…Ici / Elle se souvient / D’une époque / depuis longtemps jaunie… (…) Cabines de bain / Lignes géométriques (…) … le brocante des villas… (qui) … un instant surprises / retournaient à leur ennui… (…) …Les dunes s’écoulent comme des sabliers…(…) … Sur la promenade / Les regards / suivaient des robes / Envolées…(…) … Le garçon versait une menthe / Où se noyait la mer… (…) …Sur les balustres / Du grand hôtel / Le soir se penche… (…) … Chaise longue // …Après-midi / En creux… (…) … Absence / D’une forme / Devinée sur la toile… (…) … L’ancien bazar / Avait refermé / Ses portes // La ville / Lentement / Se rouillait…» Ainsi l’auteur tresse avec grande subtilité ces petites sensations qui font alliance avec les choses de la vie et remuent en nous les lames de fond de notre mémoire. Puis se succèdent des pages que l’on contemple comme les albums des différentes périodes de cette vie que l’on sait prématurément brisée par la disparition de celui qui n’avait que trente et un ans – mais toute une œuvre accomplie – lorsqu’il entra dans la nuit… : « Il manque à sa place / Et nul ne peut le voir / Même en pleine lumière // Puisqu’il est à jamais / Dans la perte et l’oubli / Dans le silence du regard // Et même si vous brûlez / Si des pas fébriles s’attardent // Il manque à sa place. »
« Cette journée de la terre / Que l’on voudrait éternelle… », Hélène Cadou nous l’offre ici pleine « Des fleurs des fruits et des sèves » qui irriguent une âme et une vie transcendées par la lumière d’un grand partage en poésie.
©Jacques Taurand
(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 21, premier semestre 2006)