Il est pour le moins malaisé de classer cette dernière publication de Jacqueline Bregeault-Tariel. On pourrait la ranger dans la rubrique des ‘curiosités littéraires’ si elle n’était porteuse d’un message qui dépasse le seul caractère insolite de son contenu.
Est-il surprenant que l’auteur ait choisi de placer en exergue une citation du fin lettré que fut le trop oublié Pierre Louÿs, cet amoureux invétéré du ‘mot’ ? C’est dans cette citation éclairante que l’on trouve l’expression : « ensorceler une loque ».
Le propos de Jacqueline Bregeault-Tariel serait-il, ici, secouant notre torpeur, de raviver notre regard, émoussé par l’habitude, et de faire apparaître les mots sous un jour inattendu, autrement dit de nous les faire redécouvrir ces ‘mots de la tribu’ si souvent tombés au rebut ?
La première partie de l’ouvrage est : L’écrivain & le rebut. L’acte primordial consiste précisément à sauver les mots du rebut : « Et si l’on nommait le Rebut. Il porterait haut et fier les stigmates de son nom – c’est important d’aimer son nom, d’être plein de sollicitude envers soi-même, de se saluer le matin, de s’étreindre le soir. // Réchappé du pilon, il lui faudrait du temps à ce malotru vêtu d’une loque usée pour gagner ses lettres de noblesse ! »
Puis, après avoir examiné la morphologie du mot Rebut, après l’avoir réhabilité, nous sommes invités à nous questionner sur son orthographe et les possibles variations de sens que l’on peut obtenir en troquant l’une de ses lettres contre une autre : « Quand tu dis orthographe c’est pour respecter la règle. Mais alors, Le Rebut, si tu changes une lettre, une seule, et que tu annonces rébus en substituant à la rigidité castratrice du t la souplesse d’un vermisseau, si en plus tu l’accentues, tu ouvres des horizons insoupçonnés. » Et Jacqueline Bregeault-Tariel de nous le prouver en appréhendant le mot sous des angles différents, sans omettre, au sein de la phrase, la ponctuation qui, elle aussi, est porteuse de signification.
Dans les pages suivantes, mots et signes, mis en scène dans une sorte de chorégraphie délirante, nous entraînent dans un jeu extravagant et ensorcelant où la démonstration est faite sur les incidences croisées polysémiques, sémiologiques et sémantiques de notre champ lexical. Il n’est pas surprenant que Michaux soit évoqué, qui a su tordre le cou à une certaine rhétorique en loque. J’ajouterai qu’un Michel Leiris, autre goûteur de mots – celui de Biffures – eût apprécié cet exercice de Jacqueline Bregeault-Tariel.
Quoi qu’il en soit, chacun aura sa lecture de Ensorceler une loque et se forgera son opinion. Il est bon dans le ‘ronron ronronnant’ de nos quotidiennes parutions que nous dérange un tel écrit dont le questionnement et l’humour sont revigorants.
©Jacques Taurand
(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)