Ce recueil, ce livre, même (200 pages), se présente comme la chronique d’un itinéraire. Chaque poème sonde, évalue, la substance des lieux, des êtres, des circonstances, des rencontres, réunissant des horizons contrastés: l’Amérique, le Harrar, la Flandre natale, le Quercy.
Mais c’est le corps de la femme qui donne son sens et son rythme à cet ouvrage. Femme comme métaphore immédiate ou implicite, grâce à qui la sensualité s’élargit à la pensée, à l’art, aux civilisations disparues. Qu’elle soit évoquée dans sa force de vie:
«À la surface/ d’un corps lisse comme le Ténéré/ elle fait courir ses seins/ comme galopent les gazelles »,
ou suggérée dans cette blancheur lumineuse qui
«transmet aux femmes la grâce du paradis perdu »,
elle aimante les lignes de perspective du poème.
Car c’est elle qui, dans toute l’eurythmie de ses puissances, conjure la mémoire des guerres, répare en quelque sorte les généalogies et les familles ankylosées de conformisme.
C’est elle aussi qu’on devine à l’arrière-plan d’un bonheur franc:
«la maison bruissait des mots bleus des enfants jusqu’à produire un grand ciel outremer».
Jean-Claude Dorchies éclaire l’intrication des destinées, de leurs passions et de l’Histoire. Sur le fond de cette fresque, la terre d’âpreté du Causse, découverte dans sa minéralité, mais aussi à travers ses hommes et ses femmes, s’impose comme un appel de racines, un lieu à déchiffrer:
« les chemins, depuis longtemps, ont éclaté
dans l’effondrement des dolines pourpres ».
Si, dans cet ouvrage, le poète sculpte sa vie en s’éprouvant au monde de la femme, il s’efforce, poème après poème, de conjurer la désolation qui hante notre siècle, de Verdun à Manhattan. C’est donc contre ces gouffres-là qu’il rassemble ses forces de vie, se tournant de plus en plus vers
« l’archaïque, le patiné, l’insondable. »
©Gilles Lades