Mélancolique et désabusé, ce petit ouvrage d’une quarantaine de pages, de par son titre sans ambiguïté Les Pages tournées, retrace la vie d’un homme enclin à privilégier la nuit. « L’adolescent chimérique » qu’il fut devient « l’étranger », celui que l’on tolère dans l’espace commun, celui que l’on invite avec scepticisme à partager des brindilles d’amitié.
« Quand les poignées de mains pour dénouer la peur du prochain, pour nouer dans le vide l’étrange des solitudes, n’étaient que passeports d’exil. » Par le biais des mots du poème (le plus souvent en prose), Michel Baglin règle un compte à son passé, à son métier (de journaliste), à ces milliers de pages rédigées dans la ferveur et qui, au final, ne représentent qu’un petit tas de cendre, de poussière.
Le pessimisme de Michel Baglin, sa clairvoyance, le poussent à ne considérer que les « petits bonheurs », ceux que le jour engrange pour ne les restituer que bien plus tard. Le poète refuse les chemins de la gloire, sachant que pour mourir, « on replie sur soi le drap, ayant éconduit les aventures offertes. »
Déjà, dans Lettre de Canfranc (2005), l’un de ses récents ouvrages, Michel Baglin privilégiait la désertification d’un lieu (une gare pratiquement abandonnée). Avec Les Pages tournées, c’est le bilan d’une vie d’homme, avec ses failles et ses espoirs déçus, qu’il met en évidence. Il oublie toutefois de préciser que, pour évoquer une telle solitude et un tel désarroi avec une semblable maîtrise, il lui a fallu beaucoup, beaucoup de talent.
©Jean Chatard
Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 354, novembre 2007