Belle et grande voix qui nous parvient du Québec en un ouvrage de 250 pages présenté par Paul Chamberland et réunissant de larges extraits d’une œuvre d’envergure dominée par un écrit dont les ressources et l’invention semblent inépuisables. Denise Desautels entretient avec la mort de singulières relations qu’elle décrit avec brio afin de se situer dans un monde sans pitié où l’artiste perd ses repères et son équilibre dans la narration pour mieux les utiliser dans son art. « répète les mots après moi – l’iconographie du désir bouleverse l’ordre des choses ». La mort s’implique la plupart du temps dans les textes de Denise Desautels non par occultation désirée mais par simple réflexe de survie où l’artiste se positionne en tant que témoin afin de structurer sa propre existence, sa propre créativité. Jeu dangereux que l’auteure n’hésite pas à provoquer et à restituer après l’avoir subi à titre personnel. Impliquée qu’elle est dans les méandres de l’interrogation. « l’espoir repose du vertige – vivre est inoffensif dit-on – on se protège contre l’effondrement ». Les deuils successifs (le père dès l’abord, puis Lou – souvenons-nous de « Tombeau de Lou » publié en 2000 par Le Noroît) apportent à Denise Desautels matière supplémentaire à s’interroger sur l’existence jusqu’à faire de ces deuils le thème privilégié (avec la théâtralité, il est vrai) d’une œuvre par ailleurs riche en émois et en tentatives multiples pour expliciter la magie d’une existence terrestre. Dans cette anthologie, les interrogations succèdent aux interrogations, les constats aux constats. « (je ne suis là pour personne ni pour – moi-même, dépaysée, un peu floue dans l’oubli… » Denise Desautels « dit ». Elle raconte. Elle se raconte et c’est l’existence de chacun d’entre nous qu’elle révèle ici. Les dédales de l’Histoire, de son histoire, de notre histoire, se retrouvent dans « Un livre de Kafka à la main », et nous ne sommes pas très éloignés de « La métamorphose » où le corps et l’âme se transforment tout en gardant leur authenticité originelle. Brillant, brûlant, troublant, ce livre rassemble 30 années d’écriture et c’est un enchantement de s’y plonger et de s’y replonger.
©Jean Chatard
Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.