Avec Tenir parole Yves Broussard, dont on sait qu’il pratique une poésie d’une écriture aussi dense que concise, se livre à une série de réflexions autour de l’espace et du temps autant qu’il aborde d’autres thèmes qui vont du plus petit à l’infiniment grand. Mais ce serait réduire la portée de ce livre que d’en rester à ces considérations : il y a plus et c’est vers une éthique fondée sur les rapports de l’homme à l’univers que s’achemine Yves Broussard, observateur attentif de ce qui l’entoure et soucieux d’une poésie exigeante qui lui permet d’affronter les contradictions et de tenter de les résoudre. Avant tout, face à la coulée du temps, il s’agit de pérenniser l’instant, seul moyen que nous ayons pour ne pas compter sur une éternité illusoire : «Plus encore / que le chant du merle / le cri des enfants / habite/ l’instant / qui s’attarde». La volonté de refuser la mort, jamais nommée, apparaît comme un élément essentiel de la quête poétique et humaine d’Yves Broussard. Perdu dans l’infini de la durée, l’homme avoue sa méconnaissance d’une éternité qui l’a précédé : «Rien n’est dit / ici / de ce qui précède / le temps». Quant à l’autre éternité, celle à laquelle nous nous confondrons, mieux vaut l’ignorer et s’en remettre aux oiseaux qui «tracent leur parcours / sans souci d’origine / ni de fin», Yves Broussard rappelant, par ailleurs, notre devoir de participer à la vie de l’univers qui est aussi la nôtre, car les exemples liés à cette morale de l’action et partant du désir d’assumer notre destin dans ce qu’il a de plus humble et de plus fort trouvent leur origine dans la moindre des créatures. Par cette démarche se manifeste le souhait d’assembler les contraires, de dépasser les contradictions : il suffit d’écouter la voix d’Yves Broussard déclarer : «Cette pâle clarté / à l’approche du jour / indique à l’homme / son devenir possible / face à toutes les contradictions» et de comprendre qu’à tout instant commence «l’aventure humaine» qui, malgré la fragilité de chacun constitue notre grandeur : le recours à la rose souligne cette caractéristique d’une façon allusive : «A ses pieds / quelques pétales / restés là / pour marquer / son infinie grandeur». Dès lors, comment ne pas redire la confiance que le poète entretient dans la vie, de là cette morale optimiste que l’on remarque à plusieurs reprises et qui s’inscrit dans le dernier poème de Tenir parole : «Dans le désordre et la splendeur / les restes d’un passage ancien / y attestent du toujours possible».
Il y a dans ces pages une force singulière qui émane de l’écriture maniant abstraction et éléments concrets, en même temps qu’une pensée tournée vers le monde et l’homme, une pensée qui incite le lecteur à observer avec une plus grande attention ce qu’il aperçoit ou même l’invite à se porter au-delà.
©Max Alhau
(Note de lecture parue dans Europe, mai 2007, n° 937)