On connaît la profondeur d’éthique dont Isabelle Poncet-Rimaud a su faire preuve tout au long d’une œuvre vibrante de vérité et de passion (ce dernier terme entendu au sens fort de son origine). D’abord animé et orienté par l’exigence divine – la foi vécue non comme consolatrice, mais comme porteuse de défis, de désirs et de soif de l’autre –, le poème plaçait d’emblée le destin personnel dans la quête d’un sens universel. Dans le livre Marche en la demeure (Éditinter, 2000), celle qui, dès le départ de l’écriture, prenait le monde en charge, mettait aussitôt le cap sur « le devenir d’être soi ». La même exemplaire sincérité du poète allait l’obliger, plus tard (Des taches sur la robe, Éd. du Cygne, 2009), à rendre compte du ravage provoqué, quand la foi s’en est allée, par la perte de toute « trace de soi/ dans les images du monde », comme elle le dit dans les pages les plus sombres du livre que nous découvrons aujourd’hui, avec ce « rien dissous/ dans le néant vivant » et « l’absence/ programmée ».
Il semble que l’enjeu de ce livre prolonge, après quelques années, l’idée du « devenir d’être soi » jusqu’à son aboutissement qu’on pourrait dire le plus naturel, c’est-à-dire au pays d’une mort dont on aura tenté l’apprentissage ; ce que suggèrent les derniers vers de la première partie :
Rien qu’une fenêtre ouverte
et tes pas trouveront la force
de franchir la porte.
Car cette première partie de l’ouvrage se veut elle-même un cheminement : les premières pages reflètent le dénuement (« vie trouée », « vie cloquée », « temps nécrosé », « plus de place en soi ») où déjà l’écriture tente de ressaisir le poème, d’abord avec humilité :
Cette chose mendiante,
qui bafouille à la porte
des mots, […]
puis dans la sorte de fermeté que rythme « le pas tranchant/ de l’écriture/ qui taille à même le sol/ ces rides profondes/ où germer le vivant. » Germination, c’est l’impérieux désir dont s’arme l’écriture, jaugeant successivement les rares secours qu’elle espère : les mots, de toute évidence, mais qui d’abord s’absentent, se refusent, « métronomes de ton silence », avant de permettre « la parole désentravée » :
À pointes de mots
le poème s’éveille,
[…]
Poésie,
le doigt du mot
sur la bouche
du silence
mais aussi d’autres amis, tirés du paysage, comme l’arbre ou la lune, et spécialement du « paysage allaité/ des eaux de l’enfance » ; amis bien nécessaires « de la femme si belle/ que l’ombre/ retournait au soleil/ comme un gant », quand il lui faut apprivoiser les sombres perspectives, « la tombe/ ce lit qui attend » ; au terme, est une reconquête : « Désormais, tu marches/ sans appui. »
La seconde partie du livre se compose de treize poèmes d’une singulière beauté, dédiés au père disparu :
Mon père de nuit revêtu
qui fais mes jours
blancs d’absence, […]
poèmes sobres, dans une lucidité d’écriture qui accroît leur vérité d’émotion. La perte d’un être égale la perte d’un monde et renverse le temps (« Père de l’envers des saisons »).
À l’écart de tout jeu verbal, dans une absolue justesse de ton et avec la vaillance d’âme que fait entendre son beau titre, Le Mors au cœur est un livre écrit pour chacun d’entre nous.
©Paul Farellier
Note de lecture in revue Les Hommes sans Épaules, n° 38, 2nd semestre 2014.