Avec ce livre, nous avons affaire avec la vie – non pas la vie conceptuellement tirée au cordeau pour l’ornement ou l’alibi d’une pensée qui, au fond, lui demeurerait étrangère –, mais avec la vie vraie, celle qu’on a tant de mal à assumer en son mélange de plein et de vide, dans le creux de l’instant qu’on ne peut retenir.
Le poète évite de tomber dans une confession qui ferait de ses lecteurs les « voyeurs » de sa vie. Qui, de lui ou de nous, est le visiteur ? Qui, le visité ? On comprend très vite l’inhabituel partage d’humanité qui nous est proposé, et qui fait que ce livre, délibérément privé des séductions du « poétisme », captive pourtant son lecteur. Nous-même l’avons lu d’un trait, mystérieusement entraîné dans un courant que nous ne pouvions maîtriser.
L’exil, dont tout poète se réclame, redouble ici ses effets :
J’ai visité ma vie// entendu les rêves/ se ternir/ comme le col d’une chemise […] dans mes yeux/ les absences vont et viennent/ telles des barques/ sur l’eau
L’auteur ne cesse en effet d’être l’absent d’une patrie éloignée, la Syrie, comme l’absent de cet « autre jardin » que composent les pays d’adoption. Mais, de l’exil, naît aussi le paradoxe d’une alliance, celle qui se noue dans l’approche des langues, comme l’a noté Daniel Leuwers dans sa pénétrante préface, « Un clair obscur ». Une poésie bien personnelle a pu se forger par ces rapprochements de cœurs et d’esprits que procurent les traductions. Il nous est indiqué que, chez l’auteur, le style arabe s’est trouvé remué d’influences diverses, tant occidentales qu’extrême-orientales. Et voici que cet ouvrage, qui se traduit en lui-même, devient un livre miroir, fruit d’une intense confrontation de langues et de cultures, et s’offre à nous comme un bel alliage de voix poétiques.
Autant de motifs pour cette lecture, sans oublier l’émotion, notamment amoureuse, que ce livre dégage.
©Paul Farellier
Note de lecture in Les Hommes sans Épaules, n° 37, 1er semestre 2014