Cheminant de l’un à l’autre des regards en taille douce que fait défiler ce livre, étapes éphémères d’un imperceptible déplacement, on pourrait retirer d’abord l’impression d’errer sans but dans un monde d’abstractions (Temple de l’insu / de l’inconnaissable) dont le poète se serait fait le scribe désabusé. Mais voilà qu’on découvre, fort heureusement, qu’il n’en est rien, quand surgit, au cœur du livre, ce cri de révolte :
les larmes des feuilles
dans une malle de novembre
en ce jour non inscrit
j’en appelle
aux filles désancrées qui nous servaient de phares
Un intense congé est ainsi donné par le poète à son propre verbe : saisi du vertige solaire de sa méditation, comme elle s’était, dans ses incessants replis, déroulée jusque-là, le poème se réfugie côté ubac, en un lieu qui puisse être propice à la face princière des ténèbres. Peu à peu se révèle, dans une sorte d’obstination très émouvante, le sens profond d’une recherche qui nous prend à témoin et, à vrai dire, nous concerne essentiellement. Ici, de très fortes paroles sont entendues :
l’inachevé du monde
[…]
le cours des choses illisibles
[…]
[avoir] l’innommé pour cible
[…]
Il brûle entre les mots
le livre se rétracte
Au terme du livre, surgit le questionnement ultime :
la majuscule du vide
[…]
quel est le vrai nom du monde
et surtout
où est la source
Un livre très convaincant, parfaitement intégré à l’éthique de son auteur, telle qu’elle s’exprime dans le prière d’insérer.
©Paul Farellier
Note de lecture in Les Hommes sans Épaules, n° 35, 1er semestre 2013.