La production poétique de Roger Gonnet est abondante : une quarantaine de livres à ce jour. Qu’elle soit suivie de volume en volume ou considérée par époques successives, sa qualité ne faiblit pas. S’il y a bien des constantes dans cette œuvre – ainsi le dépouillement aphoristique d’une parole dans l’immédiateté d’un regard soustrait à toute illusion, ainsi encore, un souci éthique fidèlement maintenu –, des éléments singuliers viennent caractériser ces deux ouvrages, pris parmi les plus récents.
La Traversée aveugle : ce titre, image bouleversante de l’humaine condition, est tiré d’un poème (« Le cliché décoloré ») où il semble que tout soit dit d’un versant de l’existence :
la traversée aveugle
Les murs muets
Les chambres vides
Les impasses où tu te fourvoies
Bras ouverts
Et ce n’est pas pour rien que le livre se déroule « à l’écoute d’une parole détruite », à travers « les décors disparus », en chemin sous « les étoiles absentes », et que la fin du parcours est évoquée comme l’ultime élargissement d’un captif :
Privé de paroles
Tu t’évades
Les yeux grands ouverts
Libre
Avec Un si fugitif éclat, s’il reste gravité de ton et de pensée – ce qui est gage d’authenticité –, il semble bien, cette fois, que sagesse et sérénité vont réussir à l’emporter. L’effort d’« ouvrir/ un chemin de traverse », de « relever les ruines », de « quitter/ un trop plein qui déborde », tout cela tourne en cet aboutissement
comme peuvent reposer les morts
au profond
Le livre s’achève en éternité, à « la source/ gorgée de lumière et de larmes », là où « un nom/ pourrait s’écrire ».
Saluons ici deux des meilleurs livres de l’auteur.
©Paul Farellier
Note de lecture in revue Les Hommes sans Épaules, n° 34, 2nd semestre 2012.