La pratique du poème de Claude Albarède nous a habitués à cette manière sensible qu’a le poète de creuser son poème comme on pénètre la matière du monde, à cette manière si particulière de faire surgir les blessures et les douleurs humaines en écho à celles trop nombreuses de la planète.
Son nouveau recueil, « Un chaos praticable » nous semble avoir atteint des zones de non-retour. Claude Albarède nous offre ici des poèmes d’une rare intensité où chaque mot coïncide avec le sens que le poète pressent de son dire.
La forme adoptée du poème en prose nous semble réfléchir exactement le sens de ce qui est donné à voir et à découvrir et son rythme, intimement lié aux pas du locuteur, l’accompagne dans ces chemins, sentes, et errances multipliées au travers du Causse ardéchois, lieu d’origine du poète.
« Cette marche ardente » ne conduit pas seulement à la finitude malgré les ruines et tous les précipices rencontrés, elle conduit vers un chaos, « Un chaos praticable » car générateur d’un nouveau monde, tout au moins dans l’esprit du poète. Marcher, avancer car « il te faut trouver l’homme interminable » jusqu’à « la pesée du couchant »
Le poète s’interroge et interroge le monde. Suivre un chemin de terre c’est pour lui suivre un chemin d’humanité, approcher des maisons habitées, ressentir les battements des vies toutes proches. « Un bout d’affection avec les fleurs » surgit avec beaucoup d’émotion dans le poème afin de le partager avec la nature et ceux à qui il n’est pas donné de pouvoir l’appréhender.
Albarède parle du monde avec amour, un amour tremblant, comme le brin d’herbe, comme les pierres (Guillevic n’est jamais loin) mais un amour d’autant plus tragique que le poète sait comme tout être humain que tout doit disparaître. Alors il lui faut devancer le chaos, croire en une sorte d’éternité, croire au-dessus de tout qu’il y a de « Possibles futurs » malgré que : « Comme des mots qui n’ont pas fait poème les ruines n’en finissent plus… »
Mais une chandelle reste toujours en veille sur les chantiers poétiques d’Albarède, une petite flamme qui éclaire des sentiers encore praticables au milieu de ronciers épineux, de contre-pentes et d’à-pic qui l’appellent à toujours confronter ses mots à la pierre, à attiser les feux du camp, pour retourner chaque matin à la source. Cette source que nous espérons intarissable.
Les peintures d’Alain Dulac accompagnent très justement les poèmes d’Albarède dans un jeté de pierres, d’entremêlement de racines, de big-bang praticable lui aussi, dans ses douceurs et ses violences. Tracés du peintre et du poète cheminent sur les sentes éclatées du monde, à l’infini de l’approche plus concrète de son devenir.
©Monique W. Labidoire
Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 32, 2nd semestre 2011