‘Les carmes déchaux vont en sandales et sans bas’, nous précise Littré. Est-ce à dire que Jean-Vincent Verdonnet, parvenu à un certain point de son ascèse poétique, aspire au dénuement, se veut de tout allégé afin de n’offrir à l’heure dernière, alors que l’on entend déjà frémir les eaux du Léthé, que : « …la transparence qui dépouille / et s’annonce au loin sur les eaux… » ? Avec ce recueil, le poète poursuit, mezza-voce, ‘ce battement de la parole’ qui se fait presque inaudible tant le poème se replie dans l’ombre portée des mots, tant l’image analogique et les hypallages le font s’identifier avec son environnement. Tous les thèmes chers à l’auteur sont ici repris, psalmodiés dans ses noces perpétuelles avec la Nature sa grande complice. L’éternel questionnement du poète se maille en notes sombres mais sereines sur la trame d’un quotidien paisible. ‘La vie est là’ aurait dit un autre poète, ‘simple, tranquille’… et l’auteur de Jours déchaux de poursuivre : « Sur la place grince l’enseigne / de l’échoppe du cordonnier / Un souffle d’air passe et s’en va / Cueillir l’aveu d’une ruelle / Où la vie / ne tient qu’à un fil / de silencieuse lumière » ou encore : « …au gré des heures / entre les murs d’une ruelle / S’y pose l’invisible essaim / de ces pas que l’on n’entend plus / et leur douceur en toi s’obstine / avec les années / de retour / qui se penchent sur les fontaines / où montent trembler des visages ».
À la proue de sa chambre, en parfaite osmose avec sa terre dont il éprouve les moindres vibrations, le poète interroge l’étendue qui s’offre à lui et s’amenuise : « …vers quel lendemain la contrée / doit consentir à se tourner / lorsque la journée / appareille / pour l’autre rive sans connaître / la distance qui l’en sépare ». Verdonnet cède volontiers la parole à la nature, confiant dans la sagesse des saisons. Toute manifestation végétale, minérale, animale devient signe, a valeur de présage, se charge d’un sens qui porte le poème au plus intime de l’être et en sollicite le profond mystère : « Quel sens peut être retenu / de la lecture de ce monde / de la poussière des messages / dont le ciel étoilé fourmille // Une incertitude persiste / tant que n’aura pas préludé / le chant de l’oiseau / entrebâillant pour toi l’énigme / qu’aborderait une étendue / muette en sa lente marée ». Tout se passe comme si, peu à peu, le poète prenait possession de son néant à venir, habitait les lieux dépouillés de la vie physique – les jours déchaux – et renaissait à la vie spirituelle dont le poème est le miroir. On évolue dans un monde d’ombres ; morts et vivants s’y frôlent : « Les façades se décolorent / Des passants viennent du silence / pour y retourner aussitôt ».
Avec Jours déchaux la parole de Jean-Vincent Verdonnet se fait de plus en plus proche du silence, épousant l’indicible : « Jours d’alors qui marchent déchaux / et la poudre de leurs chemins / quel château muet les accueille / sous l’aile de pierre grise ».
©Jacques Taurand
(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)