Dès l’invocation – et même dès le titre – le poème ici parle de l’intérieur ; les mots sont de ces portes qu’on pousse/ au-dedans de soi. Mais, dans son intériorité, la vie contemplative en appelle aussi à la voix venue d’ailleurs qui, seule, permet une intuition du monde/ autre que ce qu’il est. Le silence est alors recherché comme un abri, l’écriture, comme une trouée d’extase, un guet-apens de l’invisible.
Pour autant, nulle tentation quiétiste dans ce livre aux intenses lumières : Garde la page inapaisée, se commande à lui-même le poète. De fait, nombre de pages du recueil ne craignent pas, avec foi, d’affronter l’incertitude, l’opacité, la séparation, le malheur. Et il est significatif qu’un salut soit, en plein cœur de l’ouvrage, adressé à Pierre Gabriel [[Sur Pierre Gabriel, voir notre étude Pierre Gabriel ou « Le nom de la nuit », in Les Hommes sans épaules, n° 16, premier semestre 2004.]] et à son questionnement tragique :
Offrir sa chance
à toute aube incertaine
et à sa frêle royauté,
prendre sa lampe
à voix basse nommée,
laisser mûrir sa mort natale :
nul autre legs testamentaire
pour votre adieu au bord
des âges, Pierre Gabriel.
Il reste surtout l’essentielle clarté de cette poésie ; la main à plume dont, citant Rimbaud, elle instaure le rêve diaphane ; les mots de la plus simple fraîcheur et d’une évidence que l’on pouvait croire de longtemps perdues : ce bruit d’étoffe sur la mer […], la soie d’une respiration […] ; et les intuitions décisives :
La mort,
tu la croyais nocturne :
elle t’éblouit.
Un des plus beaux livres du poète. À ne pas manquer.
©Paul Farellier
(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)