À travers L’EMPIRE, nous sommes conviés à un voyage d’esprit comme saurait peut-être l’entreprendre un homme des Lumières si, transporté dans notre pauvre siècle, il se trouvait soudain lesté de la douloureuse expérience dite de la « modernité ». Mais, cette fois, la fable philosophique va plus loin que n’avait pu le faire l’élégante cruauté voltairienne. La réussite d’Hameury tient beaucoup à ceci : le regard qu’il nous apprend à porter sur le monde n’est pas de distanciation ; au contraire, sous la fiction dont il nous trace mille et un détails bien cousins de notre réalité, c’est notre propre existence que nous apercevons : nous sommes donc intéressés à la partie.
Les récits et nouvelles de Jean-Paul Hameury – c’est vrai pour ce livre, L’EMPIRE, comme pour MACCHAB [[Éditions Folle Avoine, 2007.]] ou pour DES TEMPS DIFFICILES [[Éditions Folle Avoine, 2008 (parution : janvier 2009).]] – ont en effet ceci de particulier, à nos yeux, qu’ils tiennent vraiment en haleine. Et c’est là un signe qui ne saurait tromper : on court de la première à la dernière ligne avec une curiosité et un intérêt jamais affaiblis. Quelle différence avec tant de proses qui nous sont infligées et nous tombent des mains !
Le style y est sans doute pour beaucoup : l’auteur est l’un des rares à savoir puiser dans toutes les ressources de notre langue et nous conduire, comme en un discours musical, à travers les modulations de la syntaxe : rien de commun avec la platitude, voulue ou non, de tous ces textes à l’indicatif minimal et à peine véhiculaire, dont nous inonde la librairie contemporaine.
Mais il y a aussi plus que le style : la maîtrise de la parabole ; c’est elle qui éclaire notre condition dont L’EMPIRE est le symbole plus que le déguisement. Il y a comme un Gulliver à l’ironie désolée dans le voyageur de ces fictions, tangentes impitoyables de notre monde réel.
©Paul Farellier