Récitation des rites est une œuvre qui se donne en partage (un mot qu’affectionne l’auteur). Loin des forges du passé – de son passé – le poète-Héphaïstos travaille sur « le feu froid » pour y ranimer les rêves enfouis. « Les mots anciens » sont psalmodiés, incantés comme vagues itératives dans le flot serré d’une récitation qui ressasse la vie au « ressac muet du sang », celui où tout se résout dans l’émergence du poème et de ses images kaléidoscopiques. Claude Serreau célèbre ici l’existence dans ses multiples manifestations, ses nuances et ses incertitudes : « Cette parole à peu tenant / qui dit l’espoir et puis se tait / esquisse un monde où vivre encore ». Il évoque les grands feux « où le ciel a scellé / les signes des amis / dans leur arche solaire ». Avec les mots du poème il tresse « une couronne d’épousailles / entre brume et soleil » et, conscient de notre minuscule trace, nous convie « à boire à ce régal / un peu d’espace avant le soir ».
Le tour de force de Serreau est de réussir à fondre dans son flux verbal ce qui relève du concret (le descriptif) et de l’abstrait (la pensée), le visible et l’invisible, les deux trouvant leur résultante dans la métaphore qui les transcende « Dialogue des jardins / quand le jour se réveille / à la tête des arbres / avec les mots secrets / que le temps vient peser. » Le ternaire : temps / mémoire / art poétique est ici parfaitement maîtrisé.
La poésie de Claude Serreau, coulée dans une écriture ténue, serre au plus près la réalité, en tire les accords et des échos les plus secrets, ceux que tisse le vent entre lande et océan. Cette voix forte, originale, sait nous faire oublier les mots pour leur substituer un chant qui monte des abysses de la conscience, imposant son lyrisme carré et sa musique profondément humaniste et fraternelle.
©Jacques Taurand
Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.