New York n’en finira pas de séduire ou d’irriter ceux qui l’abordent ou qui, comme Jeanine Baude, parcourent la ville en poètes, séduits par cette vision cosmopolite, par cette diversité propre aux mégapoles. C’est que le regard que porte Jeanine Baude sur New York et principalement Manhattan est celui d’une observatrice à la fois fascinée et désireuse de rendre compte de ce qu’elle découvre. De là ces proses à l’écriture parfois éclatée qui traduit l’abondance de la matière, le rythme incessant d’une cité qui ne s’arrête jamais de vivre, de bouger: «Les mains qui remontent sur les cuisses. La pâleur. Tu danses. New York danse. Ce ne peut être autrement ce vide. Il faut danser, danser.» Au fil de ses déambulations diurnes et nocturnes Jeanine Baude prend conscience de l’âme de la ville, de celle de ses habitants. De ceux-ci elle rappelle l’origine, remonte vers un passé qui fut celui de la douleur, de la difficulté et ce rappel contraste avec une approche plus légère de la ville. Jeanine Baude se détourne du présent pour replonger vers les racines initiales de ce peuple venu d’ailleurs: l’écriture se fait plus grave: «les galères emmenaient leurs lots de pestiférés en lisière des murs hauts et fragiles, chapelles et maisons de bois oscillaient.» Mais on ne saurait demeurer plus longtemps sur l’image d’une époque révolue, New York n’en finit pas d’entraîner la passante dans son sillage. Les vagues successives submergent celui qui s’aventure dans ses différents quartiers: le contraste, les surprises sont de mise, espace et temps s’entremêlent au rythme des pas: «C’est à peu près cela quand on marche dans la ville à en perdre son âme. Le corps écoute tous les corps. Cela s’entend. J’ai les oreilles brûlées par le bruit que fait le temps.» Les sensations, les impressions fusent de tous côtés et cette poésie de l’instant, Jeanine Baude la restitue avec une force particulière, mettant en relief les pouvoirs de la ville dans laquelle elle s’engouffre avec le sentiment de ne jamais en finir avec elle: «Aveuglée par ta course, l’éloignement, ce que tu recherches de perte, de fuite, l’indépendance, le jeu, le souffle: tu retiens leur mouvement de balancier, là sur les vagues.» Pourtant nul ne saurait s’en tenir à cette réalité urbaine: il est des lieux qui permettent de se soustraire à cette emprise et le rêve contrebalance ce poids trop prégnant. Jeanine Baude glisse alors vers cette autre puissance qui naît au détour de certains lieux: «Débarque et touche ! Programme à l’issue des pas, sur la flamme du briquet le pivot de ton rêve. Ne sors pas indemne du cri.» Une autre perspective s’impose, la vision s’élargit: comment oublier que New York n’est pas que cette étendue de gratte-ciel, cette géographie qui met l’homme à rude épreuve: c’est aussi le rappel de la littérature, la musique qui demeurent dans leur vivacité et des figures des deux continents se fondent dans un même creuset: «Mallarmé se promène, il croise Whitman. Tu te déhanches, les draps sont accueillants après la nuit.»
L’écriture de Jeanine Baude s’efforce en y réussissant de saisir New York dans ce qu’elle comporte de nouveautés incessantes. Il fallait le regard d’un poète pour en restituer le plus intime, la face secrète.
En écho à ces textes, on lira de Jeanine Baude: New York is New York (Tertium éditions), plus prosaïque peut-être mais qui constitue une approche tout aussi passionnante de la ville.
©Max Alhau
(Note de lecture parue dans Europe, août-septembre 2006, n° 928-929)