En 1991, Porfirio Mamani arrivait à Madrid. Dans ce pays auquel il n’était uni que par la langue, il croyait néanmoins trouver un accueil bienveillant. Il n’en fut rien. Rejeté par la communauté espagnole pour laquelle il n’était qu’un étranger, il mit le cap vers Paris. Toutefois l’expérience espagnole l’a profondément marqué et ce recueil relate la douleur endurée, l’indifférence ou l’hostilité à son égard en même temps qu’il livre également la conception qu’il entretient du monde, de l’existence où l’oubli n’a nulle part, où la parole poétique est sans cesse rappelée. A partir de longs poèmes conçus comme une seule phrase qui traduit l’ampleur de son souffle, Porfirio Mamani Macedo entraîne le lecteur sur le chemin de son errance en pays adverse. Les apostrophes à des éléments concrets ou abstraits comme l’Enigme, élément récurrent et signe essentiel dans sa poésie, disent cette adresse au monde des hommes en forme de supplique. De plus, les redites volontaires, les rappels d’une situation précaire «Des rues qui me désignent le mot: étranger / Des voix, des visages qui me regardent / Je n’emmène rien de personne avec moi» contribuent à renforcer le ton de ces poèmes. En même temps que la relation de cette errance, la pensée de Porfirio Mamani Macedo se tourne vers le souvenir d’une époque révolue, d’une terre natale abandonnée: «Ce sont les yeux de mon Père qui m’attend au Pérou / L’absence de ma Mère qui m’attend quelque part». Car le poète comprend que rien n’est voué à l’oubli, pas davantage que les certitudes sont à la portée de celui qui tente de se livrer à la parole qui va de pair avec le rêve, comme il l’affirme: «En eux j’existe / Avec eux je m’éloigne». Dès lors, en face d’une blessure constante, de ces avanies dont il fait l’objet, Porfirio Mamani Macedo n’aura de cesse de parler, n’hésitant pas à manier le paradoxe qui traduit précisément le désarroi éprouvé, la fragilité qu’est la sienne: «Comment se taire en ayant la parole / et le doute dans la parole ?» car il s’agit bien d’une volonté de ne rien laisser échapper, même si l’incrédulité anime le poète, si sa quête ne peut se résoudre par une affirmation quelconque. Aussi les interrogations sont-elles nombreuses et les réponses absentes. Lorsque Porfirio Mamani Macedo connaît pour la seconde fois l’exil, en arrivant à Paris, ce sont les mêmes doutes qu’il continue d’exprimer ce qui, toutefois, n’efface pas chez lui la promesse d’un espoir enracinée en lui, ce qu’il exprime dans l’Epilogue par ces mots: «Un jour nous serons tout ce dont nous avons rêvé». Livre d’une sobriété exemplaire, à l’écriture lyrique d’une belle pudeur, Voix au-delà des frontières est à la fois le récit d’une errance douloureuse et la mise en place d’une poétique habitée par la foi dans la parole.
©Max Alhau
(Note de lecture parue dans Autre Sud, n° 24, mars 2004)