Le titre résume assez bien l’esprit du recueil du poète terrien qu’est – et se veut – avant tout Georges Bonnet, proche des moindres frémissements de la nature avec laquelle il aime à s’identifier car il sait que : Le cœur des choses bat / à l’unisson du temps. Son but n’est que de tenter de devenir ce qu’il est : un seul moment, celui de cette fusion vécue en symbiose et qui lui permet de nous confier : Me faisant moi / pleinement ou à peine / selon l’instant. En cela, l’auteur pourrait reprendre à son compte la déclaration de Michel Manoll : Ce qui importe, c’est de trouver notre identité : notre double minéral, végétal, volatil dans les choses. Et Georges Bonnet nous en donne ici subtilement la preuve. Au fil des pages, chaque description, chaque évocation, tout paysage saisi dans la lumière de l’instant, éveillent des résonances profondes dans sa conscience, nouant des relations où se mêlent les époques de sa vie, ravivant des émotions lointaines : D’anciennes tendresses / avec le soir / viennent rôder / autour des choses… […] …Rue des Pierres noires / la peur se cache sous les porches / et joue à faire peur / dans les couloirs sombres / et les chambres sans lumière / à l’enfant qui cherche / encore en nous / une main à tenir… Certes, pour lui : Quelques chardons en fleur / cernant l’éternité / tout au fond d’une combe en disent plus long que toute digression métaphysique et, surtout, nous invitent à communier avec le monde, à dénicher ses secrets derrière ses plus anodines manifestations. Pour cela il faut, à l’âge du poète, avoir conservé une merveilleuse fraîcheur, cette aptitude au perpétuel étonnement. Une bien belle leçon en douceur et sans bruit. À cet égard le poème de la page 27 est éloquent : Celui-ci affirme avec aplomb / des idées obsolètes / lues dans un livre ténébreux […] Cet autre encore / parle du désert d’être né / alors qu’en son jardin / les oiseaux chantent tout le jour / le bonheur de vivre / et que derrière les murs / rien n’arrête la naissance des marguerites. Cher Georges Bonnet, même si vous ne pouvez plus offrir à [vos] mains ce qu’elles ont aimé, vous nous offrez – et nous vous en savons gré – ce fort et lucide optimisme dont nous manquons tant. Avec vous, nous feignons de croire : que les hommes sont innocents / et connaissent le bonheur / lorsque le soir sur les seuils / leurs rires sont pleins d’ailes. Cela ne cause de tort à personne et nous permet d’espérer un peu, parce que : La terre parfois / s’enivre de tendresse / illumine ses nuages ses racines / ses labours sous la neige / les coquillages desséchés / de ses solitudes…
©Jacques Taurand
(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, premier semestre 2005)