Avec Marcel Hennart, c’est toujours au plus profond que va la poésie : le pays du temps suffoque[…] au fond de nos gorges, touche aux limites mêmes d’une vie qui n’aura cessé de refuser son trébuchement, son arc-boutement épuisé/ dans le râle de son éternité. La lancinante question affleurant dans nombre de ses poèmes cristallise ici en ce fragment de houille : comment mourir l’instant où nous serons notre mort. Hantise d’un vide et d’un néant, souvent sensible chez Marcel Hennart et qui se manifeste encore dans ce recueil (regard/ douce prison des choses/ tu en es l’âme éclatée de son vide). Traversée de l’instant ou, si l’on veut, odyssée instantanée dont l’Ithaque pourrait être l’échouage en vacuité : Un instant, on sait d’avance qu’il n’est rien,/ qu’il va éclater entre nos doigts,/ sans même laisser une trace mouillée.[…] A peine un minuscule éclair au soleil pâle./ La vie scintille, c’est toute une vie./ Une éternité fond dans le néant.
Mais le poète n’en reste pas là, et ces pages de l’instant, effacé aussitôt devant l’instant qui le suit, sont aussi poème du Souffle (avec majuscule) qui habite, qui remplit de son infini et donne ainsi courage et lucidité devant la sépulture/ où tu bois enfin la vie, le bonheur d’embrasser la Terre ta mère tranquille/ en sa sourde éternité au-delà du tumulte de l’ombre.
Un beau livre qui se referme sur l’équation « Souffle = Lumière », pour que la nuit de cette chambre/ ressuscite jardin/ tout entier d’impossible été/ dans notre hiver.
©Paul Farellier
(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 11, 2ème semestre 2001)