Si vous aimez Le Nom secret, La Vallée des Rois, Vesper ; si vous remontez souvent vers Le Château cathare ; si vous êtes de ceux que Malrieu illumine au détour d’images inespérées, jetez-vous sur ces lettres à son meilleur ami. Couvrant la période 1950-1975, elles peuvent, sans doute, présenter un intérêt « historique » : on y entend, par exemple, l’homme généreux dans son engagement social et politique, ce communiste pur, trop pur (et forcément déçu) comme il y en eut tant, mais rétif à l’endoctrinement, au langage préfabriqué, et, pour tout dire, ami fidèle d’André Breton. Cependant, là n’est pas l’essentiel attrait de ces missives incomparables : parfois lourdement soucieuses ou même désespérées, ou encore empêtrées dans un quotidien mal vécu, elles laissent exploser ce merveilleux de nature et d’amour qui n’appartient qu’à Malrieu (Mais la forêt est là devant la porte, la fenêtre, jalouse, émeraude, avec ses ombres portées et des escadres de guêpes viennent rôder autour des fruits. (…) Il règne un air serein d’antichambre céleste. Le temps ne passe plus. La joie, c’est Josué qui arrête le soleil.). Libre cours est ainsi donné à son lyrisme du paysage, de la chaleur, des plantes, des rues inondées de soleil (superbes errances poétiques dans Montauban ou à Penne-de-Tarn), bref à tout ce qui faisait la « matière » des grandes Lettres à Jean Ballard (1956-63), déjà publiées aux Cahiers du Sud, puis reprises en volume aux mêmes éditions de L’Arrière-Pays en 1992. Mais ici, à la différence des lettres à Ballard, où l’apollinien règne sans partage, la parole lyrique doit d’abord s’extraire de la gangue des soucis, des combats, de la vie prosaïque et fragile, des chagrins implacables. À coup sûr, elle n’en devient que plus précieuse, élevée sur la dignité du tragique. Lisant ces lettres, on mesure enfin l’abîme d’où naissaient des poèmes qui nous faisaient si heureux et libres.
©Paul Farellier
(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 9, 3ème trimestre 2000)