Beaucoup d’éclat dans cet ouvrage double : Moorea tout d’abord, écrit par éblouissement de l’âme et du corps dans leur Eden originel ; Dive lumière ensuite, hymne tout palpitant, mystère de clarté, d’étonnement, de piété, de « compassion amoureuse », d’espérance.
Quand le jour s’ouvrit, comme vanille
d’un fruit
il ne nous a pas surpris dans un fauteuil de cinéma, et nous n’étions pas non plus de ces touristes euro-polynésiens en rupture publicitaire de leur quotidienne grisaille. Car l’auteur découvre dans ces pages son vrai et essentiel séjour, et le fait nôtre, aussitôt :
Ce n’était pas le dépaysement qui prit possession de
moi, à Moorea, mais une reconnaissance, un semblable,
où nuages, où fleurs ont le seul rapport qui, au monde
vaille
avec la sévérité des montagnes fabuleuses
En ce lieu, où l’on nomme « oiseaux de paradis » les fleurs du bananier, toutes les images du vivant s’interpénètrent, et le poème se déroule dans l’osmose parfaite des trois règnes, animal, végétal et minéral :
Il semble que s’égosillent dans les manguiers, les palmiers
que les oiseaux ne puissent être,
au calice rutilant,
que les fruits les mieux renversés, chantants,
pour la force et le brillant,
tant la terre et la lumière sont ici
l’or, coulé en laves, des montagnes noires du ciel –
les langues rouges des fleurs de bananier.
Une telle poésie fait littéralement palper, humer l’unité fondamentale où l’être du corps et de l’âme devient celui même des éléments :
Tandis que je nageais
dans l’eau parfaite et continue, l’eau
traitait mon corps comme de
l’eau ; l’air, comme une âme,
buvait à mon visage
l’air animé d’anima
Au passage et comme il se doit, Monique Rosenberg salue le Segalen des Immémoriaux ; nous avouerons pourtant, révérence gardée, avoir trouvé plus franc bonheur au petit livre récent qu’au grand « classique », lequel, peut-être, voulait trop « prouver ». Quant à Gauguin – qu’on pouvait pressentir –, il n’est pas nommément invoqué ; bien plus fin s’avère, chez notre poète, le référent pictural, pourtant inattendu :
Le rose, les gris, l’or se sont
mêlés.
En grand silence, Turner, lève-toi des morts, regarde encore une fois.
Ainsi porté par des couleurs poignantes, comme le dit la fin de Moorea, le poème, devenu sensualité d’esprit, se hausse à l’adoration d’une lumière encore immanente, mais révélée « dive ». La foi du poète manifeste in limine son pouvoir d’affirmation :
Que l’on me paie en prairies d’éblouissement
l’émerveillement est ma cause première.
Partout la matière verbale est ciselée en ostensoir de la lumière, cette patience à inonder de vie : d’abord dans l’immensité de la nuit même, majeure et constellée, qualifiée de ferlante, et qui figure ainsi la grand-voile porteuse des milliards de matins d’été / pressés en diamants et poudre d’apaisement / Car les étoiles sont les fours des dieux ; mais aussi dans l’intimité brève de l’image-fruit du plein été, comme le suggère le beau poème intitulé Nage avec nous :
Eau de pêche très mûre
La chaleur appuie, l’eau pardonne
Eau, belle eau, gracieuseté
de l’immanence
ne point écraser une goutte d’eau
nage avec nous, lumière
Et en tous lieux d’une terre rédimée, sur le froissement du vent, sur la scie dans l’appentis, sur le jardin, la maison, sur la tombe de l’absent, avec l’eau invitante et régnante, triomphe la voyelle lumière.
Chez Monique Rosenberg, l’image procède toujours d’une nécessité rigoureuse, adoucie cependant par l’aimable laisser-aller d’un style qui enchante, tout à l’opposé du purisme : les syncopes du phrasé, les brusqueries dans l’aménité y abondent, avec aussi quelques très jolis barbarismes. C’est en tout cas une véritable fête que ce dernier livre, à notre avis l’un des plus réussis du poète.
©Paul Farellier
(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 1, 3ème trimestre 1997)